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Alors qu’elle s’apprête à quitter le bord après quinze jours passés à bord de Fleur de Passion de Puerto Montt à Valdivia, du 3 au 17 février, la dessinatrice Peggy Adam livre quelques premières impressions

sur l’expérience sans équivalent qu’elle vient de vivre. Elle qui a embarqué dans le cadre du programme culturel Dans le miroir de Magellan met en lumière qu’à bord, chacun est le miroir de l’autre dans cette micro-société d’une douzaine de personnes où tout s’exacerbe volontiers, quoi que pas jusqu’à la mutinerie!

« Un moment marquant? Ils ont tous été marquants! Intenses… Je n’avais jamais vécu un tel concentré de voyage.

La raison de ce concentré? Le fait de se retrouver à onze à bord du bateau. La promiscuité qui en découle. Dans ces circonstances, tout y est exacerbé, les comportements, les sentiments, surtout quand il y a des difficultés ou des problèmes relationnels. Tout le monde le ressent quand quelqu’un va mal. Chacun est le reflet des sentiments de l’autre. Pour ma part, je n’avais jamais vécu comme cela en communauté 24h sur 24, c’était un vrai défi! Et oui, j’ai eu ma journée où je ne me suis pas sentie bien du tout…

Et ce qui est assez fou, quasiment dès le premier jour, ou en tout cas très rapidement, c’est comme si tu connaissais tout le monde depuis très longtemps. Tout le monde se sent très proche très vite et se confie volontiers. Comme si garder les choses trop pour soi en cas de difficulté n’était pas une option. Du coup, s’immerger comme dessinatrice observatrice de cette micro-société offre une matière incroyable pour raconter des histoires.

Et puis on pense beaucoup à Magellan, à ce que devait représenter le fait de naviguer à son époque dans des conditions autrement plus éprouvantes. On comprend qu’il y ait eu des mutineries! (rire) Avoir ça en toile de fond t’oblige à prendre sur toi, à prendre conscience de tes propres limites dans cette ambiance où chacun est le miroir de l’autre, ça fait un peu peur mais c’est très intéressant. On se dit qu’il faut être fort pour être marin, il faut savoir gérer ses émotions, celles des autres. Sans quoi il y en aurait bien un qui serait passé par dessus bord! (re-rire). Les marins, à bord, ils sont toujours sous tension. Yaiza (la responsable scientifique de l’étape), raconte qu’elle rêve de ce qu’elle doit encore faire. JJ (le second), il n’arrive pas à se reposer au moment de la sieste quand il le devrait parce que lui aussi pense en permanence aux travaux de maintenance, aux réparations qu’il doit finir.

Apprendre à relativiser, donc. Les circonstances t’y aident quand on rencontre un problème de pompe à eau et que celle-ci vient subitement à manquer. C’est ce qui nous est arrivé, heureusement sans gravité. A l’époque de Magellan, on mangeait le cuir du bord quand tout le reste était épuisé. J’ai eu l’impression que chacun avait ce lointain passé très présent à l’esprit. Chacun avait lu qui la bio de Magellan par Zweig, qui le récit que Pigaffeta, l’un des rares rescapés, fit de l’expédition. Dans cette micro-société du bord, chacun a sa place, officielle, chacun s’en trouve aussi une, plus officieuse, en fonction des besoins et de la dynamique du voyage.

Et au bout du compte, tu te rends compte que sur un bateau, il est finalement assez facile de remettre en question sa vie de tous les jours et les habitudes qui vont avec. En termes de rythme, de quantité de sommeil, etc, ça t’oblige à aller au-delà de ce à quoi tu es habitué.

Quand une avarie de pompe à eau se déclare et qu’il faut donc rationner l’eau, chacun réalise que tout compte à bord, qu’il faut être vigilant, que pareil aléa nécessite une certaine discipline. Mais qu’au fond, se doucher avec un litre d’eau, ce n’est pas si impossible que ça. C’est d’ailleurs étonnant de voir à quel point les gens arrivent à rester positifs malgré ce genre de circonstances! »

A bord de Fleur de Passion, Marina Estancilla, Valdivia, Chili, 18 février 2016