Livre de bord

Au terme d’une navigation hauturière de vingt jours depuis les îles Cocos, la plus longue sans toucher terre depuis le départ de l’expédition de Séville en avril 2015, Fleur de Passion a fait escale à Maurice le 11 mai 2018 avant de poursuivre sa route et d’arriver dix jours plus tard à Madagascar, le 23 mai. Ainsi prenait fin la traversée haute en couleurs de l’océan indien, entamée quarante et un jours plus tôt à Jakarta, pour les quatre membres d’équipage, les adolescents du programme Jeunes en mer et leurs deux éducateurs, ainsi que pour le dessinateur du programme culturel Dans le miroir de Magellan. Journal de bord.

Ile Maurice, 11-16 mai 2018

Vendredi 11 mai 2018, Fleur de Passion s’amarre à un quai après vingt-neuf jours sans accroche terrestre. Lors des deux seules escales en cours de route depuis Jakarta, aux pieds du Krakatoa puis aux îles Cocos, le bateau avait été au mouillage. En face de Fleur de Passion cette fois, ce n’est plus l’eau à perte de vue mais le bar « le marseillais » qui constitue notre horizon... Le wifi contente l’équipage et chez les ado du programme socio-éducatif Jeunes en mer, « allô maman » remplace le « réveille-toi, c’est ton quart! ». Avec une joie intense, ceux-ci retrouvent les boutiques et les pizzas qui semblent parfois constituer leur unique horizon culinaire… Pendant ce temps, les marins se chargent de refaire le plein d’eau, de gaz et de nourriture fraîche. Le marché principal délivre des odeurs et des couleurs qu’on avait presque oubliées ! La musique traditionnelle mauricienne (le sega) nous donne alors un nouveau rythme, ça fait du bien.

Une fois nettoyée, Fleur de Passion brille de nouveau et contraste à côté d’un quartier à l’architecture post-moderne décadente. C’est aussi ici, au port, que nous voyons nos premiers dauphins. Un comble après ces semaines de haute mer. Les travaux de réparation et de maintenance courante se poursuivent, notamment sur le zodiac. Nettoyer, boucher les trous... Mais c’est aussi le moment du premier jour « off » pour l’équipage. L’intérieur de l’île Maurice recèle de belles cascades, de verdoyantes forêts, des nids superbement confectionnés par les canaris, de bien sympathiques habitants et du bon rhum !

De Maurice à Mitsio (Madagascar), 16-23 mai 2018

Nous quittons l’île Maurice à la lueur du soleil couchant le 16 mai 2018. Cependant, 40 miles nautiques plus loin, les lumières de Maurice sont toujours visibles ! Le vent restant faible, ce n’est que le soir du 17 mai que Fleur de Passion navigue à la seule force de ses voiles. Le vent, instable en force et en direction, nous pousse à nous séparer de certaines voiles. Le clin (voile d’avant) est affalé. Les écoutes du Clin et du Yankee ont été bien abîmées par le ragage, rajoutant des petits travaux en perspective ! Malgré les creux de vents et les nombreux grains, la pêche reste bonne avec une dorade coryphène (« mahi mahi ») de 12 kg sortie par le capitaine à 3 heures du matin ! 

Le vent remonte un peu et s’établit en Est-Sud-Est et Sud-Sud-Est pour passer à 6 miles nautiques des îles Tromelin le 19 mai. Là, c’est le moment d’envoyer la voile d’étai ! Fleur se transforme en kite surf ! Le 22 mai, nous dépassons la ligne imaginaire ! Celle qui marque la séparation entre l’océan indien et le canal du Mozambique. Nous ne sommes plus très loin de la grande île, celle qui clôturera la fameuse traversée de l’océan indien : Madagascar ! 

Le 23 mai. Un horizon montagneux se dessine, au loin dans la distinction des différents bleus ! Quand celui-ci devient vert, nous arrivons presque à sentir l’odeur de la terre ! Nous décidons de mouiller dans une grande baie au paysage quasiment vierge sur l’île Nosy Mitsio. Là, demeure un petit village traditionnel où sont semées quelques petites cases au confort simple et sommaire. Zébus, poulets, tireuses de riz, petit feu, enfants qui courent, le stade de foot est au fond du village et c’est l’heure où le ballon est mis en jeu. Ce petit interlude nous donne un aperçu d’une vie africaine encore préservée et d’un séjour malagasy bien coloré... 

De Mitsio à Nosy Be / Hellville 24 mai - 2 juin 2018

Nous amorçons le dernier tronçon de navigation pour atteindre notre destination finale, Nosy-Be à Madagascar. Au petit matin, nous nous éloignons de Nosy Mitsio avec un bon café chaud dans le ventre et visons au loin les « quatre frères » (quatre cailloux espacés d’un intervalle régulier). Changement de navigation, elle n’est plus hauturière mais côtière. Ce qui s’apparente à contourner les cailloux, veiller sur la profondeur de fond, observer les nuages d’oiseaux, admirer les centaines de boutres et de pirogues des pêcheurs et des transporteurs Malagasy... Les côtes malgaches découpées du nord laissent deviner de belles montagnes, une nature verdoyant et des criques secrètes... 

Hellville (ville principale de Nosy-be) se dessine au loin. Le bruit de la chaîne d’ancre qui descend signe l’arrivée. Ca y est ! On y est ! Sur l’ensemble du trajet, de Jakarta à Nosy-be, nous clôturons une aventure avec en chiffres : 35 jours effectifs de navigation, 4’326 miles nautiques parcourus (environ 8’000 km) soit une moyenne de 122 miles (225 km) par jour, soit encore une vitesse moyenne de 5,08 nœuds (9 km/h) ; une météo plutôt clémente avec du soleil parsemé de grains et une mer agitée, et un vent allant de 6 à 22 nœuds... 

Fleur de Passion reste au mouillage en face d’Hellville jusqu’à l’arrivée du nouvel équipage qui doit prendre le relais pour les deux mois suivants: Pietro, skipper, Vincent, second et Candy, cheffe de quart et coordinatrice scientifique, ainsi que deux nouveaux jeunes du programme Jeunes en mer, Emma et Jonathan, et bientôt une quatorzième dessinatrice du programme culturel Dans le Miroir de Magellan, Amélie, ainsi que des passagers.

Pendant ce temps, Fleur est astiquée, décapée, grattée, lavée, javellisée, rangée... Les travaux d’entretiens et les réparations sont au goût du jour en machine, sur le pont, dans les cabines et pour l’approvisionnement. On parle alors de vannes, de pompes, de filtres, de cales, de circuit d’évacuation, de gréement, de voiles, de tensions, de palans, de coque, d’acide, de visseries, de filets, de retouches, de graissage, d’étanchéité, de lessive, de ménage, de frigo, de ponçage, de rangement, d’inventaires, d’achats, de gilets, de pharmacie, de gaz et d’embouts... Sur d’autre domaine, c’est la gravure et le dessin d’une bande dessinée qui envahissent la table du carré. Chaque jour, Fleur se trouve sur le chemin des boutres traditionnels malgaches sans moteur qui quittent le port à marée haute pour aller pêcher ou qui transportent toutes sortent de matières entre Nosy-Be et la grande terre. Les allers-retours des « bacs » avec un bruit de moteur inoubliable sont concurrencés par les petits pêcheurs sur pirogues qui stagnent dès le petit jour sur un récif à quelques mètres de Fleur. La voile (bien que rapiécée ou trouée) est ici encore un moyen de naviguer très présent, ce qui nous donne au mouillage une vue quotidienne spectaculaire.