Livre de bord

En ce weekend du 12-13 novembre 2016, Fleur de Passion a fait son entrée dans la Baie de Moreton et s’apprête à embouquer la Brisbane River pour remonter en direction de la capitale de l’Etat du Queensland. Lundi 14 novembre, après un ultime mouillage à l’écart des routes commerciales qu’empruntent ici de très nombreux navires marchands, le voilier s’amarrera aux pontons des douanes, à l’entrée du fleuve, presque sous l’immense Gateway Bridge qui enjambe ses eaux brunâtres, pour s’y acquitter des formalités d’entrée en Australie. Puis dans le courant de la semaine, il remontera jusqu’au centre-ville où auront lieu les festivités qui marqueront non seulement l'arrivée en Australie et la fin de la traversée du Pacifique, commencée sept mois plus tôt au Chili, mais aussi le demi-tour du monde effectué depuis le départ de l’expédition de Séville en avril 2015.

Entre fin octobre et début novembre 2016, l’expédition a encore eu l’occasion de changer de pavillon de courtoisie, selon l’usage, au gré de son périple de Suva, la capital des Fidji, jusqu’à Nouméa, en Nouvelle Calédonie. D’où Fleur de Passion est reparti début novembre pour la dernière étape de sa traversée du Pacifique vers Brisbane. Ultime pavillon de courtoisie à prévoir d’ici peu pour cette année 2016 qui en aura compté… un certain nombre.

Vendredi 21 octobre 2016

Latitude 17°58,2'S / Longitude 177°04'E

En ce 21 octobre 2016, nous quittons Viti Levu, aux Fidji, l’une des principales îles dont la capitale Suva trône au milieu d'un archipel de plus de 300 îles et îlots dispersés sur plus de 500km2! Pour cette semaine de navigation en direction de la Nouvelle Calédonie, nous avons changé le rythme des quarts, ce qui coupe un peu la routine établie jusque-là. Fabien, Ali, Thomas, avec l'aide de Marc-André hors quart, s'occupent des manoeuvres de voile dans la journée et d'un repas par jour.

Lundi 24 octobre 2016, 17h00

Mouillage port de Goro. Latitude 22°18,7'S / Longitude 167°00,8'E

Après avoir changé quatre fois de pavillons de courtoisie depuis de départ de Tahiti début septembre, nous touchons les îles Loyauté (South Hebrides Trench), archipel attenant à la Nouvelle Calédonie, après 6 jours de mer et de voile pure. Fleur de Passion glisse à 6-7 noeuds (11-13 km/h) sur un Pacifique bien calme, vent de travers, toute voile dehors. Le quart d'Amélie nous nargue avec une pointe à 9,6 noeuds (presque 18 km/h). Du bonheur intégral. Les dernières 24h se feront en revanche au moteur. Le vent nous faisant subitement défaut, Fleur se retrouve à sec de toile…

L'atterrissage sur le reef est toujours impressionnant car une barre d'écume blanche déferle le long de la côte. Il nous faudra trouver la passe du Canal Havannah, pas toujours bien balisé, pour trouver un mouillage paisible sur des fonds qui remontent de 200 à 15m très rapidement. L'ancre est mouillée dans la baie de Goro à l'extrême pointe sud de la Nouvelle Calédonie.

Le lendemain à l’aube, départ feutré pour rejoindre Nouméa, à 70 miles nautiques, que l'on atteindra en début d'après-midi en suivant une route sinueuse entre îlots et reefs submergés.

Cette dernière escale à Nouméa est chargée d'émotion. Un nouvel équipage est attendu avec l'arrivée de Seb et Camille et le départ d'une grande partie de l'équipe avec qui nous avons partagé notre quotidien pendant plusieurs semaines : Pietro, Candy, Amélie, « Pioup », Carlos et Thérèse. C'est donc à 7 que nous allons effectuer cette dernière nav entre Nouméa et Brisbane, longue de 780 miles (2’200 km).
Mercredi 2 novembre 2016

Baie de Kuto, île des Pins. Latitude 22°39,5'S / Longitude 167°26,7'E

Ce lundi 31 octobre 2016, les préparatifs de départ s’accélèrent pour ce dernier saut dans le Pacifique . Aux incontournables approvisionnements au marché local se succèdent les formalités administratives d’usage.

Avant le vrai départ, nous décidons de passer par l'île des Pins, joyau incontesté de l'archipel Calédonien. Eau turquoise et limpide couronnée par les silhouettes typiques des grands araucarias, les fameux pins calédoniens dont on utilise la partie basse des troncs pour creuser les pirogues monoxyles (taillées et creusées dans un seul tronc). L'île abrite aussi  les vestiges du bagne où se sont succédés plus de 3000 communards de Paris en 1870, puis des prisonniers français exilés jusqu'en 1912.

Mardi 1er novembre, le nouveau skipper Seb et Marc-André accompagnent nos trois jeunes pour une longue virée à vélo à travers l’île: 50km dans les jambes à la fin de la journée, de quoi fatiguer nos marins chevronnés mais pas les plus jeunes, qui s'octroient une soirée et une nuit de liberté
à terre. Nous les retrouverons sur le ponton le lendemain matin, après une nuit plutôt fraîche.

Une rapide visite dans la baie de St Joseph nous fera découvrir ces fameuses pirogues à balancier dont la coque est creusée à l'herminette elle aussi dans les troncs d'araucarias. Discussion s'engage avec les locaux (qu'on appelle les Kunié) sur la méthode de construction et les bois utilisés pour les balanciers, mature et bras de liaison ligaturés et chevillés avec le Gaïac (bois imputrescible). Nous n'aurons hélas pas le temps de tirer quelques bords dans la baie de St Joseph en compagnie de nos nouveaux amis: allez matelots! Souquons sur le bois mort, le vent ne se fait pas attendre!

Prochaine news depuis la mer de Corail

De Tahiti à Nouméa, de début septembre à fin octobre 2016, Thérèse Guyot a embarqué sur Fleur de Passion comme équipière pour prolonger dans le Pacifique sud l’expérience, la première, vécue quelques mois plus tôt lorsqu’elle avait sillonné les canaux de Patagonie lors du passage du détroit de Magellan.

Entre Polynésie française et Nouvelle Calédonie, elle a rédigé ce témoignage très personnel et intime, très émouvant, une véritable ode à Fleur de Passion, à sa personnalité et aux bienfaits que la navigation à l’abri de ses voiles procure, dès lors qu’on est prêt à la lenteur, aux aléas de la mer et de la vie à bord, prêt à une forme de lâcher prise qui apporte sérénité et ressourcement. De quoi se laisser gagner par l’envie... de mettre les voiles et d’embarquer pour l’aventure et sa part de contemplation. Car rappelons-le, The Ocean Mapping Expedition, voyage de 4 ans autour du monde dans le sillage de Magellan, est ouvert à quiconque souhaite embarquer comme simple équipier, pour une semaine ou plusieurs. Bienvenue à bord! Et bonne lecture.

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Cher Fleur de Passion,

Retrouvailles... Après huit mois, je foule une nouvelle fois ton pont, ton charme a opéré. Faut dire que tu avais mis toutes les chances de ton côté lors de notre première rencontre. M’accueillir pour les fêtes de fin d’année 2015 dans l’un des plus beaux endroits de la terre, la Patagonie, plus précisément ses sublimes fjords avec ses glaciers couleur myosotis profond qui tirent leur révérence à notre passage jusque dans les eaux glacées de Puerto Natales, le nom déjà fait rêver, le bout du bout du monde.

Je n’ai pas résisté longtemps à ton appel pour à nouveau te rejoindre. Je sais, je succombe chaque fois que j’aime, je suis prête à tout lâcher pour vivre un rêve.

Je suis à mi-chemin de mon séjour, déjà quatre semaines que je suis à ton bord, c’est aussi le temps qu’il m’a fallu pour être entièrement là, dans le moment présent. J’ai lu dernièrement que le sage n’a plus rien à attendre ni à espérer, parce qu’il est pleinement heureux rien ne lui manque, et parce que rien ne lui manque il est pleinement heureux...

Je suis bien loin d’être un sage, pourtant tu réussis à me procurer cette sensation de non-manque. J’ai lutté, vu que je n’aime pas perdre le contrôle. Toi, patiemment, imperturbablement avec ton va-et-vient continuel, avant-arrière, bâbord-tribord, te relevant et t’enfonçant dans ces eaux sans fond... Tu me dis viens, je t’attends, laisse-toi aller, vis le moment présent.

J’aime m’allonger à même ta carcasse quand tes voiles ne sont pas déployées et regarder ton lancinant balancement, tel les graminées dans une prairie naturelle sous un ciel de juin. Tu laisses la douce brise ou le vent rageur te caresser, ton plaisir est visible, j’en frémis de ravissement, si ce n’est pas le bonheur, ça lui ressemble étrangement.

Je pensais que tu étais le capitaine à bord. En vivant vingt-quatre heures sur vingt-quatre à tes côtés, j’ai pris conscience que tu subis les éléments, qu’ils soient météorologiques ou humains. Tu acceptes tout, avec un calme à faire pâlir le plus flegmatique des anglais. Rien ne te perturbe, tu t’adaptes aux circonstances inconditionnellement; résigné? Je ne pense pas, plutôt une philosophie de vie.

Tu me fais découvrir des endroits magiques et des paysages de toute beauté. La nostalgie m’envahit quand le crépuscule pointe à l’horizon avec cette sensation de petite mort, répétition pour le grand soir. L’émotion n’est pas très loin, la nuit pendant mon quart, lorsque que je lève les yeux aux confins de l’univers et me laisse envelopper par les milliers de diamants qui l’habitent.

Te retrouver à nouveau, à la croisée des chemins, faire le vide dans le silence, quand c’est possible. Les sages tibétains ne disent-ils pas que la vérité est dans le silence.

Je ne peux que conseiller à tous ceux qui ne savent plus où ils en sont, à tous ceux qui se posent la question du sens de leur vie, qui se demandent à quoi ça sert tout cela, je ne peux que leur conseiller de venir passer quelques semaines à ton bord. Ce n’est pas de tout repos, faut pas croire, pourtant qu’elle belle expérience pour éventuellement se rendre compte de ce que l’on a, ou alors diriger son regard et ses pas dans une autre direction, oser faire le saut. Ne pas avoir peur, j’ai lu que la peur de souffrir est pire que la souffrance elle-même. Je ne peux que confirmer, et inviter chacun à vivre sa légende personnelle, poursuivre sa quête pour atteindre l’inaccessible étoile, car il meurt lentement celui qui n’ose pas. Quelques-unes de ces réflexions me viennent de mes nombreuses lectures à ton bord.

Tu n’apprécies pas que je te sois infidèle avec mes lectures, tu as tout fait pour me dissuader. Ta technique implacable, ton ami le vent pour une houle entêtante et sans pitié, jusqu’à ce que mon estomac se retourne sur lui-même. D’ailleurs, je me demande si ce n’était pas pour me tester, voir ce que j’avais dans les tripes. Après cette période d’apprivoisement, nous avons créé un lien, aujourd’hui, pour moi tu n’es plus un quelconque bateau parmi tant d’autres.

Je reviendrai rêvasser dans tes voiles, caresser tes cordages, me laisser bercer par ton va-et-vient sans fin. Je souhaiterais juste un peu plus de silence pour écouter ta musique et entendre cette petite voix blottie tout au fond qui ne demande qu’à être reconnue......

Polynésie, Pacifique sept-oct. 2016

Thérèse Guyot