Livre de bord

Dans la redescende depuis Lizard Island, les rudes conditions de mer ont mis l’équipage à rude épreuve, dans une région qui plus est truffée de récifs et sillonnée de cargo. L’arrivée à Cairns le 21 mai s’est néanmoins faite sans dommage, et avec le sentiment du devoir accompli après un mois de mission de cartographie de la Grande Barrière de corail en partenariat avec l’Université du Queensland. Le récit de cette navigation rugueuse par Pietro, le skipper.

Date: dimanche 21 mai 2017 

Position: Cairns

Equipage: Pietro, Camille, Candy, Leandro, Jérôme, Eva, Breanne

Navigation: Lizard Island-Cairns du 18 au 21 mai 2017

18-19/05 - Lizard island

Le 18 mai au soir, décision est prise de quitter Lizard Island après un dernier point dernière météo. Tous les sites consultés annoncent un vent de 10 à 15 Nds venant d'est et tournant au Sud est après 24h. Ce sont les conditions idéales pour Fleur de Passion. Par vent de travers, nous devrions filer à 6 noeuds de moyenne. La voilure est établie au mouillage: 1 ris dans la grande voile et dans l’artimon, et nous levons l'ancre à 22h30 après une mini sieste, tout se présente au mieux.

Nous sortons de la baie, hissons trinquette et yankee et voilà que Fleur de Passion file déjà à 6,5Nds. Une fois sorti du vent de l’île, nous devons faire un cap au 180°. A Minuit tapante, le vent est toujours au Sud est à 20 noeuds... Le reef de Eagle Island n'est pas loin et dans cette nuit noire avec une météo pas comme prévu décision est prise de mettre le moteur en marche…

19/05 - direction Cape Flattery Cap Bedford. Mer très agitée, vent SE à 25 noeuds-30noeuds

Le bateau file mais pas dans la bonne direction. Fleur de Passion n'est pas un bateau permettant de remonter au près dans une mer formée or celle-ci se creuse de plus en plus. Le yankee est rapidement enroulé et nous capons au plus près avec l'aide du moteur, opérant virement sur virement en pleine nuit avec des rafales à 30 noeud. Nous ne passerons pas Cape Flaterry sur un bord et nous devons louvoyer... Virement au plus juste en plein dans la route des cargos. Trois de ceux-ci sont à l'approche alors que nous sommes au plus près du cap avec des rafales à 30 noeuds, tout pour plaire... L'un d’entre eux nous appellera sur le canal 16 afin de nous informer qu'il ne bougera pas bcp de sa route... Nous voilà obligés de virer toutes les demies heures dans une mer bien formée, les choses se compliquent sérieusement avec un vent qui ne faiblit pas mais devient constant à 30 noeuds et une mer courte et hachée qui se forme.

L'alarme eau dans les fonds "carré avant" se déclenche régulièrement, heureusement le problème est connu et aucune voie d'eau n'est à déplorer. C'est la gîte qui fait rentrer l'eau par le passe coque d'évacuation tribord!!! L'eau rentre et on la fait ressortir par le même endroit…

A 6h du matin, le Cape Flattery est passé après une lutte de 3 heures face au vent qui monte encore. Le moteur est arrêté, tout va trop vite. On plonge dans la baie du Cap Bedford que nous avions déjà visité à la montée. La mer se lève d'autant plus que les fonds sont faibles, environ 10m. Elle est grise, le vent fouette, les vagues déferlent. Fleur de passion force le passage en passant derrière Conical rock et son reef.

A 7h30 le moteur est rallumé, il va falloir aller droit contre le vent. Malgré la protection du Cap à 7 miles, les vagues sont toujours aussi agressives. Le temps parait si long!

Un pêcheur est mouillé au loin, nous nous approchons à moins de 3noeuds de moyenne, il nous faudra plus de 2 heures avant de mouiller juste devant lui dans 4 mètres de fond sur son bon conseil! Trois autres bateaux de pêcheur nous rejoignent dans cette baie protectrice. Nous mouillons 70 mètres de chaîne par sécurité et nous voilà enfin posés après ce corps à corps nocturne!

Le reste de la journée nous permet de dormir enfin un peu, de faire des plans pour la suite. L’arrivée initialement prévue le lendemain à Cairns est vite abandonnée. Nos deux scientifiques de l’Université du Queensland à bord, Eva et Breanne, le savent déjà: leur avion de retour pour Brisbane partira sans elles.

21h, après avoir consulté les pêcheurs, je réveille tout l’équipage. Nous partons pour la nuit, le pire est derrière nous semble-t-il. Les rafales au mouillages de plus de 35 Nds sont descendues à 26-27. On y va avec 2 ris dans la grande voile et l'artimon, trinquette seule à l'avant.

20/05 - vent SE à 20-25 noeuds

Toute la nuit se déroule à lutter contre le vent et les courants qui nous obligent à des virements réguliers aux plus proches des reefs (mais pas trop quand même) afin de bénéficier un peu de leur abri sur quelques miles. Jérôme est notre routeur et cela se passe bien. Heureusement que notre moteur est fiable. Un des ventilateurs de la salle des machines crame dans la nuit mais heureusement, l'odeur m'a permis d'intervenir avant plus de dégâts qu'un boitier brûlé.

Force 5 établi, rafales à 6, ce sera le lot de la journée avant que le vent ne se calme en début d'après midi. Nous filons alors au moteur face au vent afin de rallier Low Islet, un abri sûr qui nous permettra de nous baigner et de nous remettre de nos émotions.

21/05 - Retour sur Cairns

Le 21 mai au matin, le réveil se fait au lever du soleil, il nous faut déposer nos deux passagères avant le milieu d'après midi à Cairns. Le vent est faible, 10-15 noeuds, et pour la première fois depuis deux mois, nous enclenchons le pilote automatique qui fera le job de barreur pour nous. Petites discussions au déjeuner et dans la matinée, « the job is done » nous arrivons à la fin de notre périple avec les scientifiques de UQ.

Plus de 15 reefs visités, 55 transects dans la boîte à image avec plus de 10'000 photos. Chris et son équipe sont très contents! Ils reviendront certainement pour d'autres projets!

Bravo à mes équipiers et Leandro pour le boulot effectué dans les reefs avec des conditions plutôt difficiles.

ORZA!!! (expression des Frères de la Côte pour dire "YEEEEESSSSSSS!!!)

Pietro, skipper